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Le Québec, l’Ontario, l’électricité et les changements climatiques : l’heure de revoir les liens?

Pierre-Olivier Pineau, HEC Montréal

Mark Winfield, Université York

Toutes les provinces canadiennes ont des interconnexions entre leur réseau électrique et celui de leurs voisins. Ces interconnexions permettent d'exporter de l'électricité en période de surplus, et d’en importer au besoin. En pratique, cependant, les provinces ont adopté des stratégies énergétiques «séparatistes» quant à leur secteur électrique. Aucune approche commune n’est réellement adoptée, au point que les liens sont plus importants avec les États-Unis qu’entre les provinces. Le Québec, par exemple, n'a pas de contrat d'exportation d'électricité à long terme vers d'autres provinces, mais en a un avec le Vermont.

L’Ontario est encore plus isolationniste. Malgré ses importantes interconnexions avec ses voisins, soit plus de 6 000 MW (l’équivalent de la moitié de la capacité de ses centrales nucléaire), elle n’utilise ces liens que pour pallier aux imprévus à court terme, et jamais pour des contrats à long terme.

Des changements politiques, économiques et technologiques, autant en Ontario qu’au Québec, font émerger d’éventuels bénéfices mutuels à développer des liens plus étroits sur les questions électriques.

En Ontario, les efforts dédiés à la réfection des centrales nucléaires ont été caractérisés par des retards records, des dépassements de coût massifs ainsi que des échecs complets. Cette situation a généré un intérêt croissant envers les alternatives potentiellement moins chères et moins risquées que la réfection des centrales Darlington et Bruce, telle que proposée dans le récent Plan énergétique à long terme de l’Ontario. Il y a de plus une reconnaissance croissante d’un besoin de capacité de stockage, lié à la croissance de la production éolienne et solaire ontarienne, intermittente. Le vaste réseau de barrages du Québec, et sa capacité de stockage, se révèlent être un atout régional comme on en avait peu conscience auparavant.

Du côté Québécois, la révolution du gaz de schiste aux États-Unis a diminué de manière importante les revenus du marché d’exportation. À cela, s’est ajouté une demande industrielle moins forte qu’anticipée et une production croissante de petits producteurs, notamment d’énergie éolienne, qui causent certains surplus dans l’approvisionnement électrique.

Les prix moyens récemment obtenus par le Québec pour ses exportations américaines est bien en deçà de la borne inférieure des coûts estimés de la réfection des centrales nucléaires ontariennes. De toute évidence, un approvisionnement québécois serait plus économique pour l’Ontario.

En arriver à une entente à long-terme avec le Québec pourrait cependant être plus difficile qu’il n’y paraît, à première vue. Le prix du gaz naturel devrait augmenter dans les années à venir, à cause de contraintes environnementales sur les gaz des schistes et des possibilités d’exporter du gaz naturel liquéfié. Cela rendrait l’exportation d’électricité aux États-Unis à nouveau intéressant. De plus, plusieurs états du nord-est américains considèrent reconnaître la grande hydroélectricité comme une énergie renouvelable, pouvant donner droit à une prime environnementale sur les marchés de l’électricité. Pour le Québec, cela rendrait les exportations vers les États-Unis encore plus profitables.

L’Ontario doit donc offrir quelque chose de plus pour en arriver à une entente avec le Québec – quelque chose que les états américains pourraient plus difficilement lui donner. L’entrée de l’Ontario dans la Western Climate Initiative (WCI) pourrait être cet élément. La WCI est le marché du carbone issu d’une collaboration entre des états américains et des provinces canadiennes, parmi lesquelles l’Ontario s’est trouvée. Si le système du WCI s’est mis en place en 2012, ce n’est qu’avec la Californie et le Québec, qui se sont retrouvés seuls à aller de l’avant avec cette initiative.

Le Québec bénéficierait grandement de l’entrée de l’Ontario dans ce système, pour éviter l’isolement. La crédibilité, viabilité et l’atteinte des objectifs de la manière la plus efficace seraient ainsi favorisées. Avec un prix actuel de la tonne de carbone autour de 11$, on se trouve loin du prix de la Colombie-Britannique à 30$/tonne. Les éventuels impacts économiques négatifs pour l’Ontario d’un tel système seraient compensés par les économies faites sur la réfection des centrales nucléaires, grâce aux importations d’hydroélectricité québécoises.

Mais en plus d’obtenir une électricité moins chère, l’Ontario pourrait tenir ses engagements climatiques. Les deux provinces se distingueraient davantage de l’approche fédérale dans ce dossier, et s’enligneraient très bien dans le plan de l’administration Obama sur les émissions dans le secteur électrique. C’est donc maintenant aux gouvernements des deux provinces de s’assoir et d’envisager de nouveaux liens électriques et climatiques.

Pierre Olivier Pineau est professeur à HEC Montréal et titulaire de la Chaire de gestion du secteur de l’énergie

Mark Winfield est Associate Professor of Environmental Studies à l’Université York à Toronto et Co-Chair of the University’s Sustainable Energy Initiative.